Les îles Gambier, un Musée d'Histoire pour l'Océanie

Les îles Gambier, un Musée d'Histoire pour l'Océanie

. 1520 à 1850 dans le Pacifique

Aventuriers, négociants, colons, explorateurs et missionnaires 

(article internet)

 

La Découverte du Pacifique, 1815-1850 par Vincent Mollet,

conservateur du patrimoine

Chef du service historique de la Marine à Toulon.

 

Conférence prononcée dans le cadre des Heures de l’Académie du Var, à Toulon, le 19 janvier 2000, et publiée dans le Bulletin de l’Académie du Var, 2000.

 

 

Résumé

La première traversée du Pacifique par Magellan (1520-1521), est suivie de trois siècles de découvertes; les contours du Grand Océan sont délimités, les routes commerciales reconnues, les archipels portés sur les cartes. A partir de 1815, lorsque la vague d’explorations reprend après les guerres napoléoniennes, il s’agit de soutenir les ambitions commerciales et bientôt coloniales de la France, de la Grande-Bretagne, de la Russie, des Etats-Unis, de préparer et faciliter l’activité des marchands, des baleiniers, des missionnaires, des diplomates; pour cela, il est indispensable de compléter l’étude scientifique du Grand Océan. Cartographes, zoologues, botanistes, ethnographes: chaque expédition emmène une équipe de savants, civils ou, souvent, officiers de la Marine. Dans des conditions difficiles, ils réalisent de véritables encyclopédies du Pacifique, un nouveau monde qui devient peu à peu celui des Européens.

 

 

 

Ces années 1815-1850 sont, dans l’histoire du Pacifique, une période charnière. Ce n’est plus l’océan des grandes découvertes dans lequel Magellan ou Cook, où qu’ils aillent, étaient à peu près sûrs de découvrir des îles inconnues. Ce n’est pas encore le Pacifique décrit par les romans de Pierre Loti, de Jack London, de Jules Verne, et par les tableaux de Paul Gauguin, qui est déjà un monde très européanisé; mais nous sommes à l’époque où se réunissent les conditions pour passer de l’un à l’autre.

 

1 - Les précurseurs

 

En 1815, donc, le Pacifique a bien changé depuis qu’en 1520-1521 Magellan en réussissait la première traversée. Il a été sillonné:

- par les Espagnols, qui dès 1565 établissent une liaison régulière entre leurs colonies d’Amérique et des Philippines;

- par les Anglais, corsaires ou marins de la Royal Navy, attirés par les richesses des Espagnols: Drake au XVIe siècle, Dampier au XVIIe, Anson au XVIIIe;

- par les Hollandais, employés de la puissante Compagnie des Indes installée en Indonésie (Tasman qui réalise le premier tour de l’Australie et découvre la Nouvelle-Zélande) ou concurrents de cette compagnie, désireux de trouver une route échappant à son monopole (Lemaire qui, pour contourner le détroit de Magellan, double le cap Horn en 1616);

- par les Français, flibustiers ou marchands, qui dès la fin du XVIIe siècle fréquentent les côtes du Chili, du Pérou, de la Chine.

 

Au XVIIIe siècle arrivent les Russes qui, après avoir conquis la Sibérie, envoient le capitaine Béring explorer le détroit qui portera son nom, puis faire de l’Alaska un territoire russe, ce qu’il restera jusqu’en 1867.

 

A partir de 1760 environ, les choses changent. Alors qu’auparavant les expéditions étaient surtout privées, elles sont désormais, le plus souvent, organisées par les souverains, et dotées d’un véritable programme scientifique élaboré par les académies des sciences des différents pays. C’est l’époque, côté anglais, de Samuel Wallis (qui aborde Tahiti en 1767), de James Cook; côté français, de Bougainville (qui atteint à son tour Tahiti en 1768) et de Lapérouse (qui disparaît mystérieusement en 1788). Ainsi se fait-on une idée précise des contours du Pacifique. On a longtemps cru qu’un vaste « continent austral », dont la Nouvelle-Zélande aurait été une presqu’île, occupait une partie de l’hémisphère sud. Mais Cook découvre que la Nouvelle-Zélande est un archipel (1769-1770), puis pousse jusqu’au cercle antarctique (1772-1773), démontrant ainsi que si continent austral il y a, il est isolé derrière une barrière de glace, inhabité et impropre à la colonisation.

((En 1766 Louis-Antoine de Bougainville quitte le port de Brest pour un voyage autour du monde à bord de la frégate La Boudeuse. En 1768 James Cook part à la découverte du Pacifique, à bord de l’Endeavour. En 1785 Jean-François de La Pérouse, mandaté par le ministre de la marine royale, le Maréchal de Castries, au nom du Roi, quitte à son tour le port de Brest, aux commandes de La Boussole, en direction du Pacifique. Sur chacun de ces bâtiments, est constituée une équipe de scientifiques ayant tous la charge d’œuvrer dans leurs domaines de compétences respectifs. Pour illustrer ces recherches, Philibert de Commerson, naturaliste, accompagne Bougainville; Sydney Parkinson et William Hodges, peintres, accompagnent Cook; Prévost le jeune, dessinateur de botanique, assiste l’expédition La Pérouse)).

 

On se fait également une idée précise des différents archipels. Ceci implique que l’on entre en contact avec les indigènes, de façon plus ou moins bonne. Lorsque Cook aborde en 1773 l’archipel des Tonga, il est si content de l’accueil reçu qu’il les baptise « îles des Amis »; mais lorsque le Français Surville explore en 1769 les Salomon, il les nomme « terre des Arsacides », c’est-à-dire des assassins...

 

La Révolution française, puis la guerre franco-anglaise, ralentissent le mouvement mais permettent encore quelques voyages: ceux des Français d’Entrecasteaux (qui recherche vainement Lapérouse) ou Baudin (envoyé par Bonaparte sur la côte occidentale de l’Australie), ou de l’Anglais Vancouver dans les archipels de Colombie britannique. Les guerres napoléoniennes mettent un terme à ces expéditions jusqu’en 1815.

 

2 - Les États concernés

 

Un certain nombre de pays ont déjà un pied dans le Pacifique. L’Espagne est désormais hors course. Si elle possède encore les archipels des Philippines, des Carolines, des Mariannes, ses colonies américaines proclament, les unes après les autres, leur indépendance. Les citoyens de ces nouveaux Etats sont trop occupés à se battre - contre les Espagnols, puis entre eux - pour avoir des ambitions coloniales sur les îles. Cela viendra.

 

La France est représentée dans ces eaux par ses « stations navales », petits groupes de navires de guerre; il y a une station navale d’Extrême-Orient dans les mers de Chined, une station navale des mers du Sud le long des côtes chiliennes et péruviennes, basée à Valparaiso.

 

La Grande-Bretagne possède, depuis 1787, une colonie de peuplement en bordure du Pacifique: l’Australie. Elle possède également, à l’autre bout du Pacifique, la Colombie britannique et l’Oregon, parcourus par les agents de la Compagnie du Nord-ouest pour le commerce des fourrures.

 

La Russie cherche à relier ses colonies de Sibérie et d’Alaska à l’Europe, à travers le Pacifique, ce qui implique d’établir des contacts avec les habitants des îles, des relais.

 

Enfin, un nouveau venu va bientôt jouer un grand rôle dans l’histoire du Pacifique: les Etats-Unis n’ont pas encore de façade sur le Grand Océan (ils n’annexeront l’Oregon qu’en 1846, la Californie qu’en 1848), mais leurs commerçants, leurs baleiniers, le parcourent depuis la fin du XVIIIe siècle, et ils ont déjà des intérêts dans le commerce des fourrures en Oregon.

 

Les explorateurs sont donc français (Freycinet, Duperrey, Bougainville fils, Dumont d’Urville, Laplace, Vaillant, Dupetit-Thouars, Bérard), anglais (Beechey, Fitzroy, Belcher, Ross), russes (Kotzebue, Lutke) ou Américains (Wilkes), et le Pacifique qu’ils trouvent est loin d’être vide de compatriotes.

 

3 - La présence occidentale dans le Pacifique

 

Les Occidentaux présents sont d’abord, des commerçants. Dans le Nord, ils viennent chercher des fourrures; dans les îles, des perles, de la nacre, du ravitaillement pour l’Australie (celle-ci n’étant pas encore capable d’assurer sa subsistance, la plus grande partie du porc que mangent les Australiens a été élevé par les indigènes du Pacifique), de l’huile de coco, et des produits qu’ils revendent en Asie du Sud-Est: le bois de santal, et un fruit de mer très apprécié en cuisine chinoise: la bêche de mer. En échange, ils apportent aux indigènes des tissus, des outils en métal, et, souvent, de l’alcool et des armes à feu. Parfois, ils s’installent dans les îles, fondant une plantation ou une maison de commerce: c’est ainsi que Tahiti voit en 1829 débarquer un Belge, Jacques-Antoine Moerenhout, qui deviendra consul de France auprès de la reine Pomaré et jouera un grand rôle dans l’établissement du protectorat français.

 

Les baleiniers fréquentent le Pacifique depuis qu’en 1788, un Américain de Nantucket est pour la première fois allé traquer le cétacé au-delà du cap Horn. Les Français, les Anglais ont suivi. A partir de 1835, les baleines de l’Atlantique sud étant déjà presque totalement exterminées, on assiste à une véritable ruée anglo-franco-américaine, essentiellement vers la Nouvelle-Zélande. Les baleiniers, surtout américains, sont souvent mal vus dans les îles, où il leur arrive d’enrôler de force des indigènes pour les faire travailler à leur bord.

 

Catégorie plus inoffensive (quoique...) : les missionnaires. Les catholiques français rivalisent avec les protestants américains ou anglais. Ces derniers ont, si l’on ose dire, une longueur d’avance. Dès 1797, des pasteurs, envoyés par la Société missionnaire de Londres, ont débarqué à Tahiti. D’autres suivront: en 1824 arrive ainsi Georges Pritchard, qui deviendra consul de Grande-Bretagne et jouera lui aussi un grand rôle, opposé à celui de Moerenhout, lors de l’établissement du protectorat français. Les Anglais sont aussi, par exemple, en Nouvelle-Zélande dès 1814. Des pasteurs américains arrivent à Hawaï en 1820.

Ils ont, quelques années après, la désagréable surprise de voir arriver des prêtres catholiques français, mais s’arrangent pour les faire expulser par le roi d’Hawaï. Les catholiques n’en ont pas moins, à leur tour, commencé une vaste campagne d’évangélisation. Le pape crée en 1833 un vicariat apostolique d’Océanie orientale, qu’il confie aux pères de l’ordre des Sacrés Coeurs de Jésus et Marie: ceux que, comme ils sont installés à Paris dans le quartier de Picpus, on appelle aussi les Picpussiens. Ils sont aux îles Gambier en 1834, et en 1836 à Tahiti, d’où là encore leurs rivaux protestants les feront expulser par les autorités locales. Une autre congrégation, les Maristes, aborde la Nouvelle-Zélande en 1837. Missionnaires plus inattendus, des Mormons américains prêchent à Tubuai en 1844, à Tahiti en 1845.

 

Etablis dans les îles, missionnaires et marchands conservent le mode de vie occidental, et restent en contact avec leurs compatriotes. Ce n’est pas le cas pour une catégorie plus isolée et fondue dans la population indigène: les naufragés involontaires ou volontaires, les déserteurs de divers navires. L’Américain Herman Melville, futur auteur de Moby Dick, après avoir été matelot sur un baleinier, mènera ainsi quelque temps la vie des indigènes aux Marquises, à Tahiti puis à Moorea.

 

Quels qu’ils soient, les Occidentaux établis dans les îles jouent un rôle dans la vie locale, et servent d’interprètes lorsque arrive un navire de leurs compatriotes. Une histoire illustre bien l’interaction entre les différentes catégories d’Occidentaux et les explorateurs: celle de la découverte des restes de l’expédition Lapérouse. En 1826, un capitaine marchand, Peter Dillon, au service de la Compagnie britannique des Indes, fait escale à Tikopia, dans l’archipel de Santa Cruz. Il y rend visite à un naufragé volontaire de sa connaissance: un Allemand, Martin Bushart, qui mène la vie des indigènes.

L’homme lui apprend que dans une île voisine, Vanikoro, les habitants possèdent des armes et autres objets de fabrication européenne. Dillon se rend sur place l’année suivante, établit qu’il y a là au moins une grande épave, et répand la nouvelle en Australie et en Tasmanie. C’est ainsi que Dumont d’Urville, qui était précisément à la recherche de Lapérouse, l’apprend lors d’une escale; il visite à son tour Vanikoro, fait fouiller l’épave par des plongeurs, et prouve que ce sont bien là les restes de l’expédition Lapérouse.

Dans cet océan où les Occidentaux, sans être très puissants nulle part, sont présents presque partout, les explorateurs n’auront pas seulement une mission scientifique: il s’agit aussi de soutenir et de préparer le travail de leurs compatriotes, missionnaires, commerçants ou colons.

 

4 - Les conditions techniques des voyages

 

Les navires employés sont soit des gabares, bateaux de transport appartenant à la Marine de guerre, montés par moins de 100 hommes, soit des corvettes, petits navires de guerre fonctionnant avec 100 à 150 hommes. Lorsque la mission scientifique se double d’une mission diplomatique, on peut envoyer une frégate, navire de guerre plus grand, de 300 à 400 hommes. Dumont d’Urville, par exemple, partira pour son tour du monde avec deux gabares et en tout 130 hommes.

 

Ces hommes appartiennent à la Marine de guerre: l’état-major, soigneusement choisi, est en même temps une équipe scientifique. Les matelots sont des engagés ou des appelés (puisqu’en France, par exemple, les marins du commerce sont astreints à effectuer des périodes dans la Marine de guerre). Lorsque d’Urville doit partir en expédition, il s’adresse donc au dépôt des équipages de la flotte de Toulon et « fait son marché », en choisissant de préférence des hommes volontaires pour le voyage; parfois, il faut en désigner d’office.

 

Ces hommes bénéficient des progrès techniques réalisés au XVIIIe siècle. Progrès dans la construction navale: les navires sont plus solides, plus maniables. Progrès dans la navigation: on sait déterminer avec précision sa longitude et sa latitude. Si l’on risque moins qu’au temps de Lapérouse de périr dans un naufrage, on a tout de même quelques frayeurs. En 1820, aux Malouines, la corvette Uranie, de Freycinet, heurte une roche inconnue et s’échoue. Il n’y a pas de victimes, mais Freycinet et ses compagnons devront mener deux mois la vie de robinsons avant d’être recueillis par un baleinier américain. En 1839, à l’approche de Tahiti, la frégate Artémise, de Laplace, heurte un banc de corail. Elle devra être carénée à Papeete, en utilisant le matériel et la main-d’oeuvre locaux.

 

La maladie est un danger bien plus fréquent que la noyade. Contre le terrible scorbut, on sait désormais sélectionner les aliments les plus vitaminés: citron, choucroute, oignons. Nicolas Appert a inventé, en 1809, la boîte de conserve. L’eau est stockée dans des récipients en métal et non en bois, ce qui limite le développement des bactéries. Dès la fin du XVIIIe siècle, des alambics permettent de transformer l’eau de mer en eau douce, mais ils sont peu productifs et surtout nécessitent, pour fonctionner, des quantités de bois de chauffage qu’on peut rarement se procurer. Il est donc toujours nécessaire de se ravitailler fréquemment en eau douce à terre. Les maladies tropicales font tout de même des ravages. On n’en meurt pas toujours, mais il faut souvent laisser les malades au premier port rencontré, le temps qu’ils se remettent et trouvent un navire pour rentrer chez eux.

 

De telles conditions, l’attrait de la vie dans les îles, la propagande des plantations et pêcheries d’Australie et de Nouvelle-Zélande, poussent plusieurs hommes à déserter. Les manques dans l’équipage doivent être comblés avec des matelots, occidentaux ou indigènes, recrutés au fil des escales. Lorsque Duperrey rentre de son tour du monde sans avoir perdu un seul homme, c’est salué comme un exploit extraordinaire, qu’il faudra longtemps pour rééditer. Sur les 130 marins emmenés dans son tour du monde, d’Urville comptera 25 morts, 14 malades débarqués, 13 déserteurs.

 

5 - Les campagnes scientifiques

 

Les îles et côtes étant à peu près toutes découvertes, il reste à les étudier en détail. Ce sera la tâche des équipes scientifiques, presque entièrement composées de militaires. Ce sont parfois des officiers de marine, comme d’Urville qui est un excellent botaniste et entomologiste. Le plus souvent, ils appartiennent au service de santé de la Marine, comme Paul-Joseph Gaimard (né à St-Zacharie dans le Var), chirurgien de l’expédition Freycinet puis du premier voyage de d’Urville. Enchaînant deux ou trois missions, ils deviennent de véritables spécialistes du Pacifique.

 

Avec eux s’embarquent quelques civils, parfois des savants (le jeune naturaliste Charles Darwin participe à l’expédition britannique de Fitzroy), plus souvent des dessinateurs: Louis Le Jeune dans l’expédition Duperrey, ou le Toulonnais Barthélémy Lauvergne (1805-1871). Ce dernier participe aux premières expéditions de d’Urville, officiellement en tant que secrétaire du commandant, et de Laplace. En 1833, il reçoit une sinécure à l’Arsenal de Toulon (il y finira aide-commissaire); c’est donc à titre militaire qu’il accompagne Vaillant, puis participe, toujours comme dessinateur, à des missions dans le Grand Nord et en Algérie. Et il n’y a même pas de rue Lauvergne à Toulon !

 

Ces équipes réalisent de véritables encyclopédies des régions explorées. Entre 1815 et 1850, il paraît en France 85 volumes, dont 42 pour les seuls deux voyages de d’Urville, en Angleterre 17, en Russie 13, en Amérique 9, le tout accompagné de riches illustrations. Ils traitent de géographie (on complète à cette époque l’étude de la forme de la Terre et de son champ magnétique), d’économie, de sciences naturelles, d’ethnographie... L’Océanie est loin d’être la seule étudiée. Les explorateurs se tournent vers la limite méridionale du Pacifique: le continent antarctique, découvert en 1820. D’Urville y aborde en 1840 la Terre Adélie, croisant au passage l’Américain Wilkes. Chacun craint-il que l’autre lui vole la gloire de ses découvertes? Leurs navires s’éloignent sans entrer en contact. Les explorations de d’Urville, de Wilkes et de leur contemporain, le Britannique James Ross, n’en donnent pas moins une première idée des contours de l’Antarctique.

 

6 - Les résultats politiques

 

Ces voyages ont à la fois pour but et conséquence de nombreux contacts avec les indigènes. Ils sont parfois violents: à Tonga-Tabou, en 1827, après la désertion de plusieurs matelots et l’enlèvement de plusieurs autres, une véritable bataille rangée oppose les guerriers de l’île aux marins de Dumont d’Urville. Il est vrai que, je l’ai dit, la mission des explorateurs comprend la défense des intérêts de leurs compatriotes. Ainsi en Asie du Sud-Est: en 1830, après le massacre d’un équipage naufragé en Annam, Laplace se rend à Canton pour obtenir justice des autorités chinoises, qui arrêtent et exécutent les coupables.

Ainsi en Océanie: d’Urville, apprenant à Tahiti le pillage d’un navire marchand par des villageois des Fidji, se rend sur place et, après avoir vainement demandé réparation au chef local, fait incendier le village. Face à la Chine, pour assurer la liberté de son commerce, la Grande-Bretagne déclenche une guerre et annexe Hong-Kong en 1842. Deux ans après, la France obtient des avantages commerciaux équivalents à ceux de sa rivale, ainsi que la liberté pour les missionnaires catholiques. Ces derniers et leurs ouailles font en effet aussi partie des personnes à protéger. Pour faire cesser les persécutions en Annam, la Marine française bombarde Tourane en 1847.

Elle n’aura heureusement pas besoin de combattre pour faire rétablir la liberté du culte catholique à Hawaï et à Tahiti.

 

Tout ceci débouche sur une présence européenne permanente. Le contre-amiral Dupetit-Thouars, commandant la station navale du Pacifique, prend possession des Marquises au nom de la France en 1842. La même année, à la demande de quatre chefs tahitiens très influencés par le consul Moerenhout, il proclame le protectorat français sur l’archipel de la Société. Pomaré, la reine de Tahiti, tente de se défendre en s’appuyant sur le révérend Pritchard, et c’est l’escalade: en 1843, Dupetit-Thouars déclare Tahiti colonie française, Pomaré perdant ainsi tout pouvoir. En 1844, Pritchard organise un soulèvement des indigènes. Il est expulsé de l’île, mais, malgré le rappel en France de Dupetit-Thouars, le rétablissement du régime de protectorat (Pomaré retrouvant ainsi son trône) et le versement d’une indemnité à Pritchard, la guerre civile désole Tahiti jusqu’en 1847.

 

L’influence française ne s’en étend pas moins. Elle a même failli recouvrir la Nouvelle-Zélande. Dans l’île du Nord se sont installés des baleiniers anglais; dans l’île du Sud, un capitaine marchand achète en 1838 des terrains pour le compte de la Compagnie nanto-bordelaise, ouvrant ainsi l’île à une colonisation privée venue de France. Le gouvernement français envoie en 1840 un navire de guerre pour prendre possession des lieux. Quelques jours avant qu’il ne quitte son port, la Grande-Bretagne, par traité avec des chefs indigènes, a annexé toute la Nouvelle-Zélande...

 

La progression de l’influence occidentale va bien sûr modifier profondément la vie des indigènes. La première modification est, pour les Océaniens, l’apport de nouvelles maladies. La grippe et la rougeole faisaient alors de nombreux morts en Europe; on imagine l’effet qu’elles ont pu avoir sur des populations qui n’y avaient encore développé aucune immunité. La variole, la syphilis ont eu des effets encore pires. Les estimations des premiers explorateurs concordent pour indiquer qu’à leur arrivée, dans les années 1760, Tahiti comptait environ 60000 habitants. En 1848, lors du premier recensement organisé par le protectorat français, il y en avait 9000.

 

Vincent Mollet, conservateur du Service historique de la Marine à Toulon



08/02/2016
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